RDCONGO: GRANDIR SUR LE TROTROIRE DE KINSHASA
AgoraVox
27/11/2007
Partie en voyage à Kinshasa, j’ai profité de mon séjour là-bas pour approcher les équipes de Médecins du monde qui travaillent avec les enfants des rues de la capitale congolaise. Armée d’un appareil photo et d’une caméra, je suis partie à la rencontre de ces mômes.
Ici, ils sont 20 000 enfants, dont les plus jeunes ne sont âgés que de quelques mois, à survivre dans la rue ou dans des centres d’accueil et des orphelinats. Leurs parents sont morts ou les ont abandonnés, les accusant d’être des sorciers ou ne pouvant plus les nourrir ; d’autres se sont enfuis de chez eux, afin que la maltraitance, dont ils étaient l’objet, cesse. La majorité d’entre eux a encore une famille (au moins élargie) qui a souhaité rompre tout contact avec eux.
La sorcellerie, très présente dans la croyance populaire en raison de la prolifération des églises fondamentalistes (1), sert d’argument pour justifier un malheur touchant une famille et de prétexte pour mettre à l’écart un enfant « hors normes » : un gros appétit, une énurésie, un caractère turbulent ou au contraire trop rêveur, un retard mental ou une laideur sont autant d’indices de dons en sorcellerie. Des pasteurs autoproclamés désignent l’enfant responsable des épreuves de la famille et procèdent à la « délivrance » contre une forte rémunération. La paupérisation grandissante, la dureté des conditions de vie et la quasi-permanence d’un climat de guerre sont autant de facteurs qui poussent des parents désespérés à adhérer à ces croyances et à rejeter leurs enfants, faute d’avoir de quoi payer l’exorcisme, ou tout simplement de quoi les élever.
Les changements profonds de la société congolaise ont poussé la population à placer les enfants au cœur de l’exclusion sociale : ils sont perçus comme des acteurs responsables et des agresseurs, et non comme des victimes. Ce ne sont pas des êtres à protéger, mais des menaces potentielles, à l’origine de divorces, de licenciements, de maladies et de morts.
Ces « shégués (2) » ou « phaseurs » ne sont pas tous des « enfants - sorciers », mais ils ont tous un parcours dramatique et douloureux. Leur quotidien est extrêmement difficile et violent : ils grandissent tant bien que mal dans la rue et n’ont plus rien à perdre. Regroupés en bandes très organisées, ils errent sur les trottoirs de Kinshasa, jouent au milieu des ordures et tentent de gagner de quoi se nourrir et se vêtir en cirant des chaussures, en gardant des voitures ou en volant des passants distraits. Ils se précipitent sur les gros 4x4 des expatriés ou des riches congolais, mendiant la main tendue et le regard vague, ivres de chanvre et de mauvais whisky frelaté.
Les filles se prostituent très jeunes, pour un dollar la passe, et la négociation pour le préservatif est toujours délicate, dans un pays où le VIH/sida est une maladie taboue et sujette à des rumeurs extravagantes par exemple, seules les plus pauvres peuvent être touchées selon les plus riches, et inversement ; ou encore, le sida est une maladie inoculée par les « enfants sorciers » aux parents.
Les agressions sexuelles sont fréquentes, de la part des enfants eux-mêmes, de policiers ou de citoyens lambda. La violence est banalisée et une certaine agressivité est toujours latente entre eux. Il faut se battre pour survivre et préserver le peu que l’on a de la convoitise de ses camarades. Ces enfants dorment dans la rue, sur les trottoirs crasseux de la ville ou sous les étals des commerçants, serrés les uns contre les autres pour se protéger de la fraîcheur de la nuit et des agressions potentielles. Considérés comme la lie de la société congolaise, ils subissent l’opprobre et la maltraitance des Kinois dans l’indifférence générale. Les pouvoirs publics ne s’en soucient pas et les quelques lois protectrices existantes sont loin d’être respectées : la police organise des rafles pour « nettoyer » les rues de Kinshasa, frappe ces enfants et rackette le peu qu’ils aient. Manipulés par les autorités et les partis politiques, ils sont maigrement payés pour grossir le rang des manifestations et servir de boucliers humains en cas d’émeutes. Bref, une vie de galère.
Face à ce phénomène grandissant à Kinshasa, des dizaines de centres d’accueil se sont créés, sur l’initiative de religieux ou de particuliers mécènes, indignés par cette situation. Ces centres, parfois mixtes, sont souvent des lieux ouverts, où les enfants sont libres d’aller et venir. Ils y sont nourris, lavés, scolarisés pour certains, soignés (3) et sensibilisés aux questions d’hygiène et de santé. Certains de ces centres offrent une formation professionnelle approfondie pour les plus âgés : les garçons apprennent la mécanique ou la menuiserie, tandis que les filles étudient la coiffure ou la couture. Les enfants en sortent avec un métier et un peu de matériel pour s’installer professionnellement.
Médecins du monde appuie la plupart de ces centres, en apportant non seulement un soutien technique et opérationnel en matière sanitaire (création et fourniture de dispensaires, prise en charge des frais d’hospitalisation des enfants, etc.) mais aussi en matière d’éducation à la santé. Certains éducateurs des centres accompagnés ont ainsi pu bénéficier d’une formation aux techniques de communication et de sensibilisation applicables à des domaines tels que l’hygiène de base, la puberté ou la prévention des IST et du VIH/sida.
Une équipe de trois formidables formateurs de MdM, Yvette, Patrick et Bijou, sillonnent quotidiennement les rues de la ville, organisant des sessions de sensibilisation dans les centres soutenus. L’accueil des enfants est toujours chaleureux et ils se montrent très attentifs lors de ces séances. A l’aide d’outils divers (films, jeux de cartes, boîte à images, causerie éducative), les animateurs replacent les thèmes de sensibilisation dans le contexte de vie de ces enfants et s’emploient à utiliser le même vocabulaire qu’eux. C’est dans une véritable bonne humeur que ces sessions se déroulent : la participation active des enfants est recherchée, les rires fusent et les questions sont nombreuses. Des préservatifs masculins et féminins sont généralement distribués et l’accent est mis sur la responsabilisation de chacun : ces enfants débutent leur vie sexuelle très jeunes et ils multiplient les comportements à risques. Médecins du monde tente également de replacer ces enfants dans leur famille, aidant aux recherches, agissant en tant que médiateur et facilitant la reconstruction d’un lien entre les enfants des rues et leurs proches.
Le travail de l’équipe de Médecins du monde est remarquable, mais difficile face à un phénomène qui n’en finit pas de s’étendre : une deuxième génération d’enfants des rues est en train de naître, celle des enfants des shégués, qui fondent des familles au destin incertain. Face à des autorités inertes, le travail de plaidoyer de MdM est extrêmement délicat et pourtant l’ensemble de l’équipe MdM fait preuve d’une véritable détermination pour améliorer la situation de ces enfants.
Mais que leur réserve l’avenir ? Ils sont attachants, futés et intelligents, ces gamins, mais combien d’entre eux s’en sortiront ? Le sida les rattrape, le chômage tellement présent dans ce pays les guette ; l’étiquette de shégués leur colle à la peau.... Il est encore si difficile de convaincre la population kinoise que la place d’un enfant n’est pas dans la rue, mais dans sa famille.
Témoignage
Nadège est la première petite fille que j’ai rencontré : son histoire est bouleversante et pourtant terriblement banale dans ce pays ravagé par la misère et la guerre. Cette fille au regard triste et lointain a 12 ans et vit dans le centre d’accueil de filles des rues « Hope ». Quand elle a eu 7 ans, ses parents sont décédés de maladie à peu de temps d’intervalle. Nadège et sa grande sœur ont naturellement cherché refuge auprès de leur famille, mais cette dernière, les accusant d’être des sorcières à l’origine de ces décès soudains, les a, peu à peu, rejetées et fait subir d’odieux sévices : privation de nourriture, coups à répétition, interdiction d’aller à l’école, menaces de mort, etc. La sœur aînée de Nadège s’est enfuie pour vivre dans la rue, laissant ainsi sa petite sœur aux mains d’une famille irresponsable. Une des tantes de Nadège a finalement décidé de l’abandonner en la plaçant dans une église dont le pasteur était très sensible à la lutte contre la sorcellerie. Il a donc tenté d’exorciser la petite fille, en lui appliquant quotidiennement de l’huile d’olive sur les yeux et les oreilles, afin d’annihiler ses dons en sorcellerie. Nadège, martyrisée par ce pasteur, a en vain demandé à sa tante de la reprendre dans son foyer et s’est finalement enfuie de cette église. Elle a commencé à errer dans la rue, mangeant ce qu’elle trouvait et dormant dans des magasins aux portes mal fermées. Elle redoutait particulièrement la tombée de la nuit, où elle devenait une proie facile pour les rôdeurs et les bandes de garçons des rues. Trouvant un soir refuge dans une église, Nadège, qui s’était profondément endormie, s’est réveillée lorsqu’un homme s’est couchée sur elle pour la violer. Tétanisée par la peur, elle n’a pas réussi à se débattre. Nadège a fini par se rendre dans un centre d’accueil pour filles des rues, où elle vit désormais. Elle n’a depuis cessé de se demander « pourquoi la souffrance la poursuit ainsi ». Elle y étudie consciencieusement, pour plus tard, devenir journaliste.
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Tuesday, November 27, 2007
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