Tranche de vie à Kinshasa
Le Messager 30/11/2007
Vendredi 23 novembre 2007. Aéroport de Djili. Il fait plus de 10h. Un gros-porteur de la compagnie Kenyan Airways vide son contenu. Les passagers chargés de bagages à main s’orientent vers le hall de l’aérogare. Les moins avisés – parmi les passagers – doivent attendre leurs bagages en soute. Et parfois, l’attente est interminable. “ Les bagages sont restés à Nairobi, il faut attendre le prochain vol ”, finit-on souvent pas dire.
1- Urbanité kinoise
L’aéroport de Djili est à la périphérie de Kinshasa. Rallier le centre névralgique de la capitale donne à constater la réalité de l’urbanité kinoise. Le réseau routier de la ville est totalement dégradé. Le symbole de ce chao reste l’échangeur abandonné de Limete sur la 17ème rue. Joyau architectural futuriste, l’ouvrage d’art est inachevé depuis une vingtaine d’années. Un énorme gâchis. Les embouteillages récurrents dans les rues de Kinshasa ont beaucoup à voir avec ce manquement. La capitale de la République Démocratique du Congo a aussi mal à ses transports en commun. Les taxis n’existent pas dans cette métropole de dix millions d’habitants. “ Il y a une mesure administrative qui vient d’être prise en rapport avec la relance de l’activité des taxis. Mais, elle tarde véritablement à passer dans sa phase d’exécution. Toutefois, les premiers véhicules aux couleurs de taxi circulent déjà dans les rues de la ville ”, explique un Kinois. La Société des transports urbains du Congo (Stuc) est presque sinistrée. Ses bus – déjà insuffisants et d’une autre époque – ne paient pas de mine. De vrais cercueils roulants par ailleurs très sollicités. La demande est si forte que tous les véhicules disposés se prêtent à l’activité du transport en commun. Qu’à cela ne tienne, la marche à pieds reste le moyen de déplacement le plus utilisé dans cette ville surpeuplée. Les rues de Kinshasa sont toujours encombrées de monde. Des élèves – tous âges et tous niveaux d’enseignement confondus – vont et viennent. Ce qui dégage l’impression d’une ville toujours en mouvement.
2- Administration et commerce
Les dirigeants nouvellement élus du pays affichent toute leur détermination à remettre le pays sur les rails. De nouveaux horaires de travail ont ainsi été aménagés. 8h - 16h. Et tout le monde est tenu d’observer sans égarement la mesure. Autant dans l’administration que dans les commerces. Ce qui ne va pas sans grincement de dents. Acheter par exemple un simple pagne à Kinshasa un vendredi à 17h relève désormais des choses impossibles. “ Tous les marchés sont fermés. Il n’y a pas beaucoup de solutions. Il faut attendre demain à 8h ”, s’entend-on dire. “ Mais, je suis justement attendu à l’aéroport demain samedi à 8h pour un vol programmé à 10h. Avec les embouteillages, je ne peux pas prendre le risque de faire des emplettes à 8h de demain ”, rétorque le visiteur. Finalement, le visiteur quitte la Rdc sans ses pagnes. Le manque à gagner pour l’économie congolaise ne s’arrête pas là. Presque tous les secteurs d’activité porteurs sont contrôlés par les étrangers. Ainsi en est-il par exemple de la restauration. La cuisine locale est invisible dans les menus proposés par les restaurants. Le segment Fast food – très en vue – est aux mains des Libanais.
Le secteur de la téléphonie mobile est aussi dominé par des capitaux étrangers. C’est un secteur en plein essor. La course effrénée à la clientèle est perceptible à travers des campagnes de communication agressives. Une dizaine de sociétés se disputent en effet le marché de la téléphonie mobile : Vodacom, Celtel, Cct, Standard (opérateur du téléphone fixe), Tigo, etc.
3- Pauvreté
La Rdc est un pays aux populations pauvres. A juste titre considérée comme un scandale géologique, la Rdc est un pays paradoxalement sinistré. Kinshasa est un géant à genou. Ses édifices sont pour la plupart vieillots. Ils ont en plus subi les assauts répétés des guerres civiles. Impact de balles par-ci. Fissures sur les édifices par-là. Le visage de la vieille ville n’est pas vraiment avenant. La célèbre avenue du 30 juin a longtemps perdu de sa superbe. Le cinquantenaire immeuble de l’indépendance fait toujours l’orgueil de Kinshasa. Bien qu’ayant perdu son lustre d’antan. Le Franc congolais est aussi mal dans sa valeur. Aucune pièce de monnaie de cet argent n’est visible sur le marché. Seuls les billets circulent. Il faut beaucoup de billets pour acheter le plus petit objet. A défaut de se déplacer avec beaucoup de liasses du Franc congolais, les habitants de “ Kin ” utilisent le dollar américain. C’est d’ailleurs la monnaie la plus prisée sur le marché local.
La Rdc est un sous-continent. Son territoire est vaste. Sa population est importante, une cinquantaine de millions d’habitants. Le pays est secoué par la guerre, notamment dans sa partie Est. A Kinshasa, les populations ne s’en émeuvent pas outre mesure. Un Kinois confesse : “ Le pays est très vaste. Ce qui se passe à l’Est du pays nous semble très loin. On ne se sent pas vraiment concerné. C’est comme si c’était dans un autre pays. Vous savez, les voix de communication qui reliaient jadis le pays sont coupées et impraticables. Les populations ont presque arrêtées de voyager à l’intérieur du pays ”. Qu’à cela ne tienne, Kinshasa est hanté par la guerre. En témoigne, la forte présente des humanitaires et de la Monuc (Mission des Nations unies pour le Congo) dans la capitale congolaise. Les rues de la capitale congolaise sont en effet encombrées de grosses cylindrées appartenant aux organisations non gouvernementales internationales spécialisées dans l’humanitaire.
3- Jet set
Malgré cette morosité ambiante, les Kinois font la fête. Ils aiment la fête. La musique n’arrête de jouer dans les quartiers populaires. Dans les milieux huppés, la vie se mord à belles dents. En cette soirée d’un vendredi de novembre, l’ambiance est à son comble dans une boîte de nuit in, au quartier Socimax. La jet set de la place est rassemblée à ce lieu (un ancien restaurant jadis tenu par Nicolas Bianco) distant de 300 m du palais présidentiel de Joseph Désiré Kabila. Une soirée festive organisée par Nokia. Un disk jockey (Dj) spécialement venu d’Afrique du sud anime la boîte de nuit à partir d’un téléphone Nokia dernier cri. Les invités ne boudent pas leur plaisir. Le champagne coule à flot. Le whisky et la bière ne sont pas en reste. L’espace fumeur de la boîte de nuit ne désemplit pas. Les sonorités musicales diffusées en boîte de nuit sont d’abord du terroir. Les Kinois adorent la musique locale. Un amour au relent de chauvinisme. La musique congolaise fait la fierté des Kinois. “Kin est à genou, mais Kin vit et a une âme grâce à la Rumba ”, explique DJ. OK de Raga Tv. Et le Coupé Décalé ivoirien qui a tendance à devancer la Rumba sur la scène internationale ? “ Nous n’écoutons pas le Coupé Décalé à Kin. C’est le plagiat des petits enfants en pleurs ”, argumente le DJ.OK.
Une fine pluie arrose Kinshasa en cette nuit de vendredi. Ce qui n’arrête pas la parade des voitures au luxe insolent devant la boîte de nuit. Où la fête se tient sous haute surveillance. Les services de sécurité privés filtrent les entrées. Tous les fêtards sont soumis à l’épreuve du détecteur des métaux. La Dsa (société spécialisé dans la sécurité qui travaille avec la présidence congolaise) veille au grain. Et tout se passe bien. Il faut dire que la Jet Set kinoise n’hésite pas à recourir aux services privés de sécurité. Il n’y a pas beaucoup de choix dans un pays à la misère rampante, où les forces de sécurité publiques sont en faillite. Ainsi va la vie à Kinshasa.
Par Thierry Ndong à Kinshasa
Le 30-11-2007
Le Messager
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