Wednesday, December 26, 2007
LA COUR MILITAIRE AU NORD - KIVU EST INCONSTITUTIONELLE
L’INCONSTITUTIONALITE DE L’ORDONNANCE PRÉSIDENTIELLE INSTITUANT UNE COUR MILITAIRE OPÉRATIONNELLE AU NORD KIVU ÉTABLIE.
(UDPS online 26/12/2007)
Comme si cela ne suffisait, Joseph Kabila, après la trahison de Mushake, trahit de nouveau la nouvelle Constitution. En effet, aux termes de l'article 156, § 3, de la nouvelle Constitution: " Une loi organique fixe les règles de compétence, d'organisation et de fonctionnement des juridictions militaires". L'article 3 de l'ancienne Ordonnance- loi n° 78-027 du 16 septembre 1978 et Ordonnance- loi n° 79-003 du 3 janvier 1979 relatives à l'organisation, à la compétence et au fonctionnement des juridictions militaires, stipule " Qu'il est établi, sur le territoire de la République, un Conseil de guerre Général, des Conseils de guerre Supérieures, des Conseils de guerre Opérationnelles, des Conseils de guerre de Garnison et des Conseils de guerre de Police.
Les mêmes ordonnances-lois déterminaient les compétences reconnues à chacun de ces conseils de guerre qui sont devenus, depuis 1997, sous l'AFDL, des Cours d'ordre militaire. La nouvelle Constitution parle des juridictions ou cours militaires. Il s'en suit, dit l'article 149, " Qu’il ne peut être créé des tribunaux extraordinaires ou d'exception sous quelque dénomination que ce soit". Seule une loi conforme à la Constitution peut créer des juridictions spécialisées, comme la Cour militaire opérationnelle dont il est question dans ce propos. En droit constitutionnel congolais, le concept de loi renvoi soit à son sens matériel, soit à son sens formel et organique. C'est ce dernier sens qui nous intéresse plus.
La loi organique signifie un acte édicté par le législateur suivant la procédure législative consacrée par la Constitution, et complétée par le règlement intérieur. En ce point de vue, renseigne, le professeur Mbaya -Ngang, "la loi est supérieure à toutes les autres normes juridiques, exceptées la Constitution qu'elle doit respecter". Exceptés aussi les traités et conventions internationaux, régulièrement ratifiés ou approuvés, et publiés au Journal Officiel de la République, sous réserve que l'autre partie l'applique de même, conformément au principe de réciprocité (article 215 de la Const.). Néanmoins, certains actes, pris dans des circonstances exceptionnels, peuvent avoir force de loi s'ils consistent à des déclarations de volonté émanant de l'Exécutif et destinés à produire, en vertu de la Constitution et de la loi ou des théories des circonstances exceptionnelles, des effets juridiques équipollents à ceux d'une loi. Ces déclarations de volonté sont des actes unilatéraux édictés par l'Exécutif de manière expresse sous forme d'écrit. Il peut s'agir d'une ordonnance, d'un règlement, d'une circulaire, etc.
En période exceptionnelle, l'intervention de l'Exécutif dans le domaine législatif est justifiée par la Constitution au cas où celle-ci serait muette ou suspendue, dans quel cas l'Exécutif aura recours aux théories des circonstances exceptionnelles. Ainsi, l'article 37 de la Loi-fondamentale du 19 mai 1960, autorisait le Chef de l'Etat à agir, en pareilles circonstances, par ordonnance-loi. Il en a été de même avec les articles 95 à 97, et des articles 183 à 191 de la Constitution dite de Luluabourg du 1er août 1964 et de toutes les autres qui ont suivi. Sous l'AFDL, le président Laurent-Désiré Kabila a eu recours à cette procédure législative exceptionnelle à travers son Décret-loi n° 003 du 17 mai 1997 relatif à sa déclaration de prise de pouvoir et suspendant la Constitution. La nouvelle Constitution dite de la Troisième République, prévoit en son article 145 le recours à l'ordonnance-loi en ces termes: " En cas d'état d'urgence ou d'état de siège, le Président de la République prend, par ordonnances délibérées en Conseil des ministres, les mesures nécessaires pour faire face à la situation. Ces ordonnances sont, dès leur signature, soumises à la Cour constitutionnelle qui, toutes affaires cessantes, déclare si elles dérogent ou non à la présente Constitution.
Par cette disposition, le Constituant originaire congolais (la nouvelle Constitution a été soumise au Référendum pour son adoption et ne peut pas être l'oeuvre du Constituant dérivé) a clairement défini les circonstances dans lesquelles le Chef de l'Etat peut intervenir dans le domaine législatif. C'est donc les circonstances en vertu desquelles l'état d'urgence ou de siège a été décrété qui justifient, l’intervention du président de la République dans ce domaine qui se veut différent de l'Exécutif, séparation des pouvoirs oblige. Non seulement, son intervention ne peut être justifiée que par ces circonstances, mais encore l'acte ayant force de loi pris par le Chef de l'Etat doit être soumis à la Cour constitutionnelle qui doit statuer, toutes affaires cessantes, sur sa conformité à la constitution. Nous ne voulons pas aborder ce contrôle de conformité qui peut bien faire l'objet d'un autre débat.
Il en découle, qu'en ces circonstances, le Chef de l'Etat doit intervenir par une ordonnance ayant force de loi et non par une simple ordonnance prise normalement dans l'exercice de ses pouvoirs ordinaires. Selon l'article 85 de la nouvelle Constitution: " Lorsque des circonstances graves menacent, d'une manière immédiate, l'indépendance ou l'intégrité du territoire nationale ou qu'elles provoquent l'interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l'état d'urgence ou l'état de siège, après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux chambres, conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution". Les circonstances dont il est question dans cette disposition constitutionnelle peuvent consister à la guerre, et justifier l'état d'urgence, ou à des catastrophes naturelles, comme une éruption volcanique, et justifier l'état de siège. Dans l'un ou l'autre cas, le Président doit se concerter avec son Premier ministre et les deux chambres du Parlement étant entendu que la mesure à prendre devra être soumise à l'examen de conformité de la Cour constitutionnelle compte tenu de la gravité de la mesure qui prive les citoyens de leurs droits et libertés fondamentaux. Pourrait-on appliquer cette disposition à la situation de guerre qui prévaut dans la province du Nord-Kivu?
D'aucuns répondent par l'affirmative dans la mesure où, bien que cette guerre donne l'apparence d'une insurrection ou d'une guerre civile, des témoignages concordants, dont celui de la MONUC, font état de l'implication du Rwanda et de l'Ouganda dans cette guerre. En tout cas la majorité de l'opinion nationale pensent autant. Ce n'est qu'une minorité, parfois pro-rwandaise, qui considère qu'il s'agit d'une guerre congolo-congolaise qui trouverait une solution au niveau interne. Telle a été l'option consacrée par le Ministre rwandais des affaires étrangères qui ne pouvait pas, loin s'en faut, trahir son pays. Nous sommes de l'avis de ceux qui pensent qu'il s'agit bel et bien d'une guerre d'agression qui menace l'indépendance et l'intégrité territoriale de la RDC. Le fameux cahier des charges du " général mutin général" Nkunda en dit tout dans la mesure où certaines de ses réclamations font voir la volonté belliciste et agressive du Rwanda. En effet, un individu quelque soit son rang ne peut exiger le retour d'autant des réfugiés tutsi congolais ou le désarmement des anciens militaires et miliciens rwandais. En tout état de cause, sans la complicité de l'Exécutif congolais dans cette guerre du Nord-Kivu, l'état d'urgence serait déjà décrété.
Quid alors de l'ordonnance tardive et inconstitutionnelle de JOSEPH KABILA instituant la fameuse Cour militaire opérationnelle au NORD KIVU ? En effet, lors de sa réunion ordinaire du vendredi 21 décembre, le Conseil des ministres présidé par le Premier ministre Antoine Gizenga a eu à examiner et à approuver le projet d’Ordonnance portant institution d’une Cour militaire opérationnelle dans la province du Nord Kivu. Cette ordonnance est inconstitutionnelle en vertu de l'article 156, § 3 de notre actuelle Constitution. Dans les circonstances actuelles de son élaboration, la Constitution n'habilite pas le Président de la République à agir de la sorte. Il ne lui revient pas d'instituer, dit l'article 49 " des juridictions spécialisées". Si réellement Joseph Kabila tenait à réprimer certains militaires qui se sont rendus coupables de certaines infractions au Code militaire au front dans la province du Nord-Kivu, il lui revenait de suivre la procédure Constitutionnelle pour décréter d'abord l'état d'urgence.
Il ne l'a pas fait malgré l'insistance des députés du Nord et du Sud-Kivu qui le lui demandaient. Son intervention s'ajoute donc à la liste des actes de trahison dont il s'est déjà rendu coupable depuis son accession à la magistrature suprême de notre cher pays. En l'espèce, la trahison consiste à cette violation manifeste et délibérée de la nouvelle Constitution. Qu'est-ce qui peut justifier sa réaction tardive et inconstitutionnelle? Il n'est pas aisé de répondre à cette question. Seul Joseph Kabila connaît les motivations à la base de son action mais à notre sens, la réaction tardive et inconstitutionnelle de Joseph Kabila se justifie par :
1. Le Président de la République et ses supplétifs ont été surpris par la défection massive de nos militaires qui ont pris conscience de leur trahison par le Haut commandement militaire à Mushake et ailleurs. Selon les différents rapports sur la situation militaire dans cette partie du territoire, nos militaires, caporaux et gradés, savent bien qu'ils ont été trahis par le Chef d'Etat-major des forces terrestres, le général Kumba Amisi dit Tango Four qui a demandé à certains d'entre eux de déposer les armes en les remettant sur pied de paix.
Pourtant il savait pertinemment qu'il étaient encerclés par les militaires rwandais dits "nkundistes" qui venaient de s'infiltrer deux jours avant dans les populations déplacées. L'institutionnalisation de la Cour militaire opérationnelle consisterait, dans cette hypothèse, à punir certains militaires des rangs et officiers congolais qui ont échappés au carnage et qui, conscients de la trahison se livrent à ce que Joseph Kabila et ses collabos appellent outrage au chef de l'Etat. Certains compatriotes, bien informés, ne s'empêchent de voir dans cette Cour opérationnelle, une nouvelle stratégie d'élimination de nos officiers qui feraient toujours face à Nkunda, le " protège- pouvoir" de Kinshasa.
C'est dans ce but à travers ce schéma machiavélique de guerre.
2. Tout en ne doutant pas de cette première justification, nous pensons que la réaction tardive et inconstitutionnelle du Chef de l'Etat s'inscrit dans sa logique actuelle consistant à se confondre à l'Etat. De plus en plus, il s'est fait remarquer que le Président "se disant élu" se "mobutise", c'est-à-dire, il a tendance à désabuser de son pouvoir légitime pour méconnaître les pouvoirs du Parlement qui devient de plus en plus une caisse d'enregistrement du "guide mobutisé". C'est pourquoi, en certaines matières, ne relevant pas de ses pouvoirs constitutionnels, il n'hésite plus à intervenir. Les différents accords de paix (Kigali, Nairobi, etc.) peuvent constituer une des preuves de la dérive totalitaire à laquelle nous faisons face actuellement dans notre pays.
En effet, ces accords ont été négociés en violation des dispositions constitutionnelles de l'article 214 de notre Constitution. Cette arrogance politique trouve sa justification dans la médiocrité de nos dirigeants politiques qui, pour s'accrocher au pouvoir, plongent dans l'amateurisme, le clientélisme. Personne ne prend plus position face à cette dérive. Zao dirait que " le Parlement "cadaveré", le Sénat "cadavéré", l'opposition, "cadavéré". Les autres pouvoirs classiques de l'Etat s'inféodent davantage à l'Exécutif chapeauté par Joseph Kabila. L'on assiste au culte de la personnalité comme à l'époque du MPR. C'est seule la volonté du Président "mobutisé" qui prime tout. Qui pourrait alors attaquer cette ordonnance inconstitutionnelle devant la Cour suprême de justice? Personne; pourtant selon l'article 164 de la nouvelle Constitution, la Cour Constitutionnelle ( C'est encore la Cour suprême de justice qui fait, par sa section de législation, office de cette Cour) "est le juge pénal du Président de la République et du Premier ministre pour des infractions politiques de haute trahison, d'outrage au Parlement, d'atteinte à l'honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d'initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions.
Elle est également compétente pour juger leurs co-auteurs et complices..." L'infraction de haute trahison, en l'espèce, consiste à la violation délibérée par le Président de la République qui a pris une ordonnance instituant arbitrairement une juridiction spéciale, en l'occurrence, la Cour militaire opérationnelle. L'article 165 de notre Constitution ne dit pas autrement quand il stipule " Sans préjudice des autres dispositions de la présente Constitution, il y a haute trahison lorsque le Président de la République a violé intentionnellement la Constitution ou lorsque lui ou le Premier ministre sont reconnus auteurs, co-auteurs ou complices de violations graves et caractérisées des Droits de l'homme, de cession d'une partie du territoire national".
S'agissant de la poursuite devant la Cour suprême de justice, l'article 166 renseigne: " La décision de poursuites ainsi que la mise en accusation du Président de la République et du Premier ministre sont votées à la majorité des deux tiers des membres du Parlement composant le Congrès suivant la procédure prévue par le Règlement intérieur...". Eh bien, en l'état actuel de la politique dans notre pays, la question relative à la saisine de la Cour constitutionnelle restera sans réponse. S'il faut attendre une décision de poursuite du Président de la part du Congrès actuel, la Cour ne sera saisie qu'à la vingt-cinquième heure. Les séances parlementaires relatives à l'adoption de loi portant statut et indépendance des magistrats a montré, non seulement les limites de nos honorables députés, mais aussi la légèreté de certains d'entre eux qui, par une majorité écrasante, tenaient à ce que le Chef de l'Etat soit encore le président du Conseil supérieur de la magistrature. "L'atavisme politique proche de la nonchalance, la passivité inquiétante et l’indolence maladive de nos dirigeants " Constituent la cause principale de la violation à répétition des textes fondamentaux. A cette "nonchalance" s'ajoute un " particide", proche d'un suicide collectif, qui leur fait perdre la raison et qui les place dans sorte d'hypnose qui mène rapidement à la balkanisation de notre Etat. Si nous ne prenons pas garde, la dictature de mauvais goût qui s'illustre à Kinshasa nous mène à notre perdition.
2007-12-25 17:29:29
Par Jocelyn Mobawa
Docteur en Droit Public
Université Catholique de Louvain
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