Jean-Pierre Bemba : Sénateur et leader du Mouvement de Libération du Congo
(Continental Décembre 2007)
Réfugié au Portugal depuis avril dernier, le sénateur Jean-Pierre Bemba, leader du Mouvement de libération du Congo, ancien vice-président de la période de transition et candidat malheureux à la magistrature suprême, analyse la situation qui prévaut aujourd’hui dans son pays. Un entretien sans tabou où le personnage, à maints égards controversé, parle notamment de son exil, de son avenir politique, du rôle de la communauté internationale, de son action en Centrafrique sous le régime déchu du président Ange Félix Patassé.
"Le régime actuel n'est pas une démocratie"
Continental : Officiellement, vous êtes au Portugal depuis avril 2007, pour des raisons de santé. Comment vous portez- vous aujourd’hui ?
> Jean-Pierre Bemba: Je me porte bien. Mon problème est réglé depuis plusieurs mois. Ma fracture au pied s’est résorbée et j’ai retrouvé une mobilité normale.
Vous aviez prévu de retourner en République démocratique du Congo en septembre dernier. Pourquoi n’êtes-vous pas rentré ?
> Je ne suis pas rentré tout simplement à cause des conditions dans lesquelles je suis parti. Ma résidence a été attaquée à trois reprises par des chars d’assaut dans le but de m’éliminer physiquement. J’ai dû me réfugier à l’ambassade d’Afrique du Sud avec toute ma famille, et mes enfants étaient bloqués pendant trois jours à l’école. Je suis parti, entouré par les forces de sécurité. Faut-il que je rentre aujourd’hui pour qu’on essaie, une quatrième fois, de m’éliminer ? Les conditions sont-elles réunies pour me permettre d’accomplir mon rôle de sénateur et de chef de parti dans un esprit démocratique ? La question qu’on se pose, c’est de savoir avant tout si on a affaire à un régime démocratique.
Vous avez récemment rencontré le président de l’Assemblée nationale congolaise, Vital Kamerhe, en présence du commissaire européen au Développement Louis Michel. De quoi avez-vous discuté ?
> On a exploré divers sujets d’actualité, notamment la situation politique dans le pays, la place de l’opposition et la sécurité. On a aussi discuté de mon retour, mais apparemment il y a des contradictions au sein du pouvoir en place à Kinshasa sur ce point.
Pourtant, Louis Michel avait déclaré, après votre rencontre, qu’il y a une vraie décrispation aujourd’hui en RDC.
> C’est ce qui me semblait aussi, mais apparemment le chef de l’État (Joseph Kabila, ndlr) n’est pas en phase avec le président de l’Assemblée nationale sur toutes ces questions. C’est en cela que je parle de contradictions.
Pensez-vous avoir toujours un avenir politique au Congo ?
> La réponse appartient au peuple congolais.
Le parquet général a demandé la levée de votre immunité parlementaire afin de vous poursuivre pour «atteinte à la sûreté de l’État», suite aux sanglants événements de mars dernier. Êtes-vous prêt à vous livrer à la justice de votre pays ?
> Ce ne sont que des manoeuvres dilatoires pour tenter de priver l’opposition de ses prérogatives. Par ailleurs, je jouis de l’immunité parlementaire, donc je ne vois pas pourquoi et comment je devrais me livrer à la justice.
Vous risquez cependant de perdre votre immunité parlementaire si vous n’assistez pas à plus d’un quart des séances de la session plénière du Sénat qui se tient jusqu’au 15 décembre ?
> La loi stipule que les absences doivent être justifiées. Toutes mes absences le sont et de surcroît par voie de courrier. Par ailleurs, le bureau du Sénat n’est pas formé et c’est l’une des raisons pour lesquelles je ne peux pas rentrer.
Pensez-vous que vous payez le prix de la rébellion que vous avez menée, à partir de la fin des années 90 contre Joseph Désiré Kabila, le père de l’actuel chef de l’État ?
> (Rires). Qui sait ! C’est une réflexion qui ne m’est pas encore venue à l’esprit, mais puisque vous m’en parlez, je pense que ce ne serait pas impossible. Les élections générales étaient censées ramener la paix, mais ce n’est pas le cas, notamment dans l’est du pays.
Comment expliquez-vous la persistance de ces violences ? Et que faire ?
> C’est la faute de tous les acteurs qui sont impliqués dans cette situation. Je crois qu’on a préféré choisir la voie de la force, de la brutalité, au lieu du dialogue et de la négociation. La voie de la force est la conséquence de tout ce que nous voyons aujourd’hui. Il faut dialoguer, trouver des issues politiques et diplomatiques pour régler ce problème.
Vous avez travaillé pendant trois ans avec Joseph Kabila. Envisagez-vous de collaborer à nouveau avec lui ?
> Il faut savoir dans quel état d’esprit. Quand nous avions travaillé ensemble, on s’était mis d’accord pour la réunification du pays, du territoire et de l’armée, etc. Cette réunification devait conduire à des élections. Voilà les conditions dans lesquelles nous avions travaillé. Aujourd’hui, si on devait collaborer de nouveau, ce serait pour faire quoi? On avait dit que la RDC devait être une démocratie après les élections, or ce n’est pas ce que l’on voit actuellement. Il faut qu’on sache dans quel type de régime nous sommes aujourd’hui.
Y a-t-il, à travers les institutions du pays, une place pour une cohabitation entre Joseph Kabila et vous ?
> Aujourd’hui, il y a un pouvoir en place qui gère, mais il devrait y avoir normalement une place pour l’opposition pour contrôler, proposer une autre vision. Malheureusement, le pouvoir ne laisse pas la place à l’opposition. Donc on n’est pas dans un régime démocratique.
Comment fonctionne votre parti, le Mouvement de libération du Congo, en votre absence ?
> Je fais tout pour qu’il reste uni, solidaire et qu’il puisse se préparer aux prochaines échéances, en tant que force alternative au régime actuel.
Vos supports médiatiques ont été saisis récemment. Comment réagissez-vous ?
> C’est le propre même d’un régime qui n’est pas démocratique. C’est la quatrième fois que cela se produit. De plus, ce sont toutes les radios et télévisions favorables à l’opposition qui ont été saisies.
Exigez-vous des conditions à votre retour ? Si oui, lequelles ?
> Il faut avant tout que soit instauré dans le pays un état d’esprit démocratique, ce qui n’est pas le cas pour le moment, quand on observe des médias confisqués, des arrestations arbitraires… Les rapports d’Amnesty International parlent d’exactions sur les populations qui sont issues de ma province (province de l’Équateur, ndlr). D’autres rapports de Human Rights Watch font état de la détention sans jugement de plus de 300 membres de mon parti dans les cachots, de manifestations de l’opposition interdites, en violation d’ailleurs de la Constitution qui donne le droit à toute organisation de pouvoir manifester après en avoir dûment prévenu les autorités… Tout cela est-il conforme à l’image d’une démocratie ?
La communauté internationale a joué un grand rôle dans le dénouement de la crise en RDC. Qu’attendez-vous d’elle aujourd’hui ?
> Elle a effectivement joué un grand rôle, d’abord pour permettre la tenue des élections, et aussi pour créer les conditions de la pacification du pays à travers le processus conduit par les Nations unies. Aujourd’hui, la question qui se pose est celle-ci : l’argent du contribuable européen et de la communauté internationale va-t-il servir à établir une dictature ou permettre plutôt à un régime démocratique de créer les conditions du progrès et du bienêtre pour les populations ? C’est la question que doit se poser la communauté internationale, à qui d’ailleurs nous devons rendre des comptes.
La Cour pénale internationale a décidé, en mai dernier, d’ouvrir une enquête sur les événements qui se sont déroulés en 2002 et 2003 en République centrafricaine où étaient intervenus des éléments armés de votre parti, le MLC, qui était à l’époque une rébellion… On comprend toujours mal qu’une rébellion congolaise ait pu intervenir militairement pour porter secours au régime d’un pays voisin…
> (Il interrompt sèchement la question). Ce n’est pas sérieux tout ça et je ne veux pas revenir sur cette question. J’y ai déjà répondu à diverses reprises, alors passons à quelque chose de plus sérieux.
Autrement dit, avec le recul, comment expliquez-vous que le MLC, à l’époque considéré comme une rébellion, ait pu franchir les frontières pour aller porter secours à l’ancien président centrafricain Ange Félix Patassé ?
> (Rires). On était un mouvement reconnu au niveau des Nations unies et de l’Union africaine, puisqu’on a négocié Lusaka (Accord de cessez-le-feu signé à Lusaka, en Zambie, le 10 juillet 1999, entre les divers protagonistes de la guerre civile congolaise, ndlr). Par ailleurs, il est loisible à un chef d’État, en l’occurrence Ange Félix Patassé, de demander assistance à qui il veut.
Quels étaient vos rapports avec lui et le rencontrez-vous depuis son départ forcé du pouvoir ?
> C’est un père pour moi. Malheureusement, je n’ai plus de rapports avec lui pour le moment.
Propos recueillis par Lucien Ahonto
Continental
© Sankurunews